Achats alimentaires : les préoccupations environnementales reculent
La motivation des Français à acheter des produits alimentaires durables a diminué entre 2021 et 2023. La tendance est due à l'inflation, mais aussi au recul généralisé des préoccupations environnementales dans la société, selon le Crédoc.
Les Français de moins en moins motivés par une alimentation durable, c’est-à-dire plus respectueuse de la santé, de l’environnement et de la société en général ? C'est le constat de l'étude « Consommation et modes de vie », publiée en juin dernier par le Crédoc, Centre de recherche pour l' étude et l'observation des conditions de vie. L'étude porte sur la période 2021 à 2023, durant laquelle les prix des produits alimentaires ont augmenté de 21 %. Logiquement, les seules motivations à consommer ayant crû sont liées à la compétitivité prix. Les incitations d’ordre environnemental, déjà plus basses en 2021 que celles liées à la qualité, à l’hygiène ou à l’information sur les produits, ont davantage reculé que ces dernières. En particulier, l’envie de consommer des produits issus de l’agriculture biologique a reculé de 9 points, celle d’opter pour ceux respectant le bien-être animal de 8 points, celle de consommer des produits présentant des garanties écologiques de 7 points.
Autre constat de l'étude, les motivations à choisir des produits revendiquant un respect de l’environnement varient selon les catégories socio-économiques. Les consommateurs les plus aisés, moins affectés par les contraintes budgétaires, montrent une plus grande inclination à opter pour des choix durables que les ménages au pouvoir d'achat plus contraint. Par exemple, 61 % des cadres déclarent être beaucoup ou assez incités à acheter des produits issus de l’agriculture biologique, contre 46 % des employés et 37 % des ouvriers.
Mais la catégorie sociale ne constitue pas une variable d'explication suffisante à expliquer les comportements et attentes des Français. Le Credoc a identifié trois types de consommateurs en matière de consommation alimentaire durable : les « éloignés », les « empêchés » et les « engagés ». Ces derniers concrétisent leurs aspirations en faveur de la réduction de l’impact environnemental de leur alimentation. Par exemple, ils achètent des produits biologiques, de saison, utilisent un compost… En 2023, ils réunissent 51% des Français. Parmi eux, on compte beaucoup de femmes, de personnes âgés, de couples sans enfants, des cadres et foyers déclarant les plus hauts revenus... Préoccupation de santé et pouvoir d'achat important constituent probablement la base de leur engagement. Deuxième groupe quantitatif, les « empêchés » représentent 35% des consommateurs. Eux manifestent une volonté de s’orienter vers une consommation durable, mais plusieurs obstacles, souvent financiers ou logistiques, entravent la concrétisation de ces aspirations. Dernier groupe, les « éloignés » rassemblent 14 % des Français. Eux se distinguent par une absence d’aspirations et de comportements durables. Ce groupe est essentiellement composé d'hommes, de la tranche d'âge des 45-54 ans, les ouvriers et les ménages les plus modestes. Leur indifférence aux questions environnementales tient à des choix, un manque d'information et des contraintes économiques.
Moins d'« engagés » , plus d'« éloignés » et d'« empêchés »
L'importance respective et les comportements des « engagés », des « éloignés » et des « empêchés » ont évolué entre 2021 et 2023, selon l'étude. En cause, tout d'abord, la dynamique de l'inflation. Celle-ci a par exemple impacté la vente de produits bio qui a diminué depuis 2020 : en 2023, près d'un non-consommateur de bio sur deux cite le prix comme premier frein. Mais le recul généralisé des préoccupations environnementales dans la société semble aussi avoir pesé, selon le Credoc. Ce dernier a constaté que la dégradation de l'environnement est citée par 27% des Français comme l'une de leurs préoccupations majeures en 2022, contre 28% en 2021 (enquête « sensibilité à l'environnement, action publique et fiscalité environnementale , l'opinion des Français en 2022 »). Quantitativement, entre 2021 et 2023, la catégorie des « engagés » a diminué de 5 points au profit du groupe des « éloignés » (+3 points) et de celui des « empêchés » (+2 points).
Du point de vue des comportements, les « engagés » se montrent moins motivés par les garanties écologiques, les produits émettant peu de carbone, les produits de saison, sans huile de palme et les produits issus de l’agriculture biologique... Leur fréquentation hebdomadaire des magasins bio a diminué. Inflation et sensibilité moindre aux questions environnementale pourraient toutes deux expliquer ce comportement. Autre constat, la composition de la catégorie des « éloignés » a évolué : elle comporte de plus en plus d'employés qui ont rejoint les ménages les plus modestes déjà surreprésentés dans ce groupe. Il est possible que cette tendance témoigne d'un glissement vers une forme de renoncement de la part de certains ménages qui aspirent à des comportement durables sans en avoir les moyens.
Par ailleurs, l'étude du Credoc souligne toute l’ambiguïté de la notion d'alimentation durable. En effet, celle-ci comprend environnement, société en général et santé. Et ce dernier paramètre peut prévaloir au détriment des autres. L'intérêt pour les produits bio, par exemple, ne présage pas de l'impact environnement de l'alimentation. Ainsi, les ménages aux revenus les plus importants sont surreprésentés dans le groupe des « engagés », mais ce sont aussi eux dont l'impact carbone de l'alimentation est le plus élevé ! En particulier, ils consomment plus de viande que la moyenne alors que celle-ci constitue le principal contributeur de l’impact carbone de l'alimentation des Français, selon le Haut Conseil pour le Climat 2024. Plus largement, les contradictions entre discours engagé pour l’environnement et pratiques sont courantes dans la population, note l'étude. Une très grande majorité de Français (83 %) disent que les autres consomment trop, en général, et seulement 28 % avouent trop consommer, selon le Baromètre Sobriétés et Modes de vie de l’Ademe...