Opération vélo à Matignon
Parfois surnommée « la Première ministre du vélo », pour avoir su, plus tôt que les autres, sentir l’appétence pour ce moyen de transport, Elisabeth Borne a convoqué, à Matignon, les acteurs du secteur pour leur annoncer un soutien renforcé de l’Etat, 250 millions d’euros pour 2023.
Pour qui ne connaîtrait pas la cour intérieure de l’hôtel Matignon, résidence officielle du chef du gouvernement depuis 1936, il importe de préciser qu’il s’agit d’un espace pavé, relativement petit, enserré entre une immense porte en bois et plusieurs bâtiments en pierres de taille, dont celui qui vit passer, sur son célèbre perron, des générations de ministres, de syndicalistes ou de conseillers pressés. D’ordinaire, on range dans cette cour des voitures dont les chauffeurs laissent tourner le moteur de manière intempestive, comme en témoignent des avertissements sous forme d’écriteaux, posés dans la cour par les occupants des bureaux situés juste au-dessus.
Le mardi 20 septembre, cet espace clos a été transformé en parcours à vélo. Les pavés séculaires, disjoints, et le périmètre, pas très vaste, ne se prêtent en réalité pas tellement à l’exercice. Mais qu’importe. Des agents ont disposé, sur le sol, des cordes, des chaînes en plastique et des plots colorés. Des enfants de trois écoles élémentaires, venus du Val d’Oise ou du Var, arpentent sans protester ce minuscule parcours sur les vélos tout-terrain qu’on leur a prêtés. Voilà qui fait de superbes images que le « pool photo » des médias invités s’empresse d’immortaliser.
Elisabeth Borne apparaît bientôt, entourée de pas moins de cinq membres de son gouvernement. La Première ministre a tenu à fêter, ici, à Matignon, le quatrième anniversaire du « Plan vélo » lancé en septembre 2018, à Angers, par l’un de ses prédécesseurs, Edouard Philippe. Le gouvernement, qui avait annoncé 350 millions d’euros en sept ans pour des infrastructures cyclables, visait alors un triplement des trajets à vélo, de 3% à 9% en 2024.
En quatre ans, la mobilité a été bouleversée par de nombreux événements, du mouvement des « gilets jaunes » à la hausse des prix de l’énergie consécutive à la guerre, en passant par la pandémie. Elisabeth Borne, à l’époque ministre des Transports, est désormais locataire de Matignon, Christophe Béchu, alors maire d’Angers, est devenu ministre de la Transition écologique. Et la part du vélo dans la mobilité a effectivement progressé, mais cette proportion atteint péniblement 4%, loin de l’objectif de 9%.
En convoquant ses ministres, chargés des Transports ou du Sport mais aussi de la Jeunesse ou de l’Industrie, Elisabeth Borne rappelle opportunément que la bicyclette, c’est son affaire. « Le vélo n’est pas un sujet mineur que l’on regarde avec condescendance », affirmait-elle dès 2017. Elle n’a pas changé d’avis. « Le vélo, c’est accessible, écologique, bon pour l’environnement, bon pour l’économie », assure aujourd’hui la Première ministre. L’opération lui permet aussi de montrer une image moins « techno » que celle qu’on lui prête généralement.
22 000 kilomètres de voirie cyclable
Alors que les gouvernements ne se préoccupaient pas, jusque-là, des déplacements cyclables, l’Etat a investi, depuis 2018, « 898 millions d’euros », affirme Matignon. Il ne s’agit pas seulement d’argent public. 275 millions ont été versés par les entreprises polluantes, via le mécanisme des certificats d’économie d’énergie, notamment à l’Académie des mobilités actives (Adma), un collège d’experts qui planchent sur la meilleure manière d’encourager la marche et le vélo. Ces fonds ont servi, affirme le gouvernement, à aménager 22 000 kilomètres de voirie cyclable, dont 16 000 pistes ou « voies vertes », ouvertes aux piétons. Pas moins de cinq « appels à projets » ont été lancés, qui permettent aux collectivités de demander des fonds destinés à financer un aménagement, piste, carrefour sécurisé, passerelle passant une voir ferrée, stationnement.
180 000 enfants, dont ceux qui pédalent dans la cour de Matignon et auxquels les ministres délivrent des diplômes, ont bénéficié du programme « Savoir rouler à vélo ». Elisabeth Borne espère que, bientôt, « l’ensemble d’une classe d’âge, 800 000 enfants, seront concernés chaque année ».
Mais « l’opération vélo » de Matignon ne se limite pas à la célébration du passé. Elisabeth Borne saisit l’occasion pour annoncer 250 millions d’euros supplémentaires pour 2023, bien davantage que les 50 millions annuels prévus initialement en 2018. Sur les 250 millions de 2023, un cinquième sera affecté au seul stationnement, notamment dans les gares. Le vélo est aussi une industrie, ce qui explique la présence, dans la cour de Matignon, de la haute silhouette de Roland Lescure, ministre chargé de ce secteur. Un label « France-vélo » sera octroyé aux assembleurs et à leurs sous-traitants qui respectent des critères sociaux et environnementaux.
La Première ministre annonce même le lancement d’un « comité interministériel » appelé à se réunir « tous les six mois », afin de « lever les blocages » qui pourraient survenir dans la réalisation des aménagements. Le comité aura sans doute fort à faire, y compris avec les services de l’Etat. Dans de nombreux départements, des maires refusent de construire des pistes cyclables, se retranchant derrière l’avis du préfet. Au printemps 2020, après le premier confinement, alors qu’elle était ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne contribuait à faire sauter ce type de blocage, d’un simple coup de téléphone. Elle pourra, si le temps le lui permet, continuer à déminer les dossiers, cette fois de son bureau de l’hôtel Matignon.