La réparation, très ancienne voie du futur
Pour la planète, mieux vaut réparer... Cette pratique encouragée par des militants qui luttent contre l'obsolescence programmée fait de plus en plus d'adeptes. Mais les artisans qui sembleraient pourtant des candidats naturels, ont des difficultés à accéder à ce marché.
Les pratiques des grands-mères qui ravaudaient les chaussettes pourraient – devraient ? - devenir une voie d'avenir. La réparation, « antidote » contre l'obsolescence programmée est devenue le cheval de bataille d'un mouvement militant toujours plus visible dans le débat public : le 20 octobre, à Paris, au siège de la CMA, Chambre des métiers et de l'artisanat, l’association HOP, Halte à l'Obsolescence programmée et Make.org foundation (fond de dotation) donnaient le coup d'envoi de la première édition des Journées nationales de la réparation. Objectif : diffuser une «culture de la réparation » dans la société et faire connaître les solutions existantes.
En effet, si plus de huit Français sur 10 ont une bonne image de cette pratique, 36% seulement font réparer leurs objets, d'après une étude de l'Ademe (2019). En octobre, un peu partout en France, 1 200 événements différents étaient organisés par des acteurs divers : atelier pour réparer des objets au Repair café géant de Toulouse, diagnostique gratuit et conseils d'entretien du petit électroménager chez Darty (à Bayonne, notamment), séance retouche de vêtements dans la ressourcerie « La collecterie » (Île-de-France)...
Outre à tenter d'embarquer les citoyens, les partisans de la réparation mènent aussi le combat au niveau politique. En France, ils ont contribué à ce que la loi AGEC relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (2020) instaure un « bonus réparation » pour encourager le consommateur et un « indice de réparabilité » des produits pour stimuler les entreprises. Au Parlement européen, David Cormand, député du groupe des Verts, est rapporteur du rapport « Vers un marché unique plus durable pour les entreprises et les consommateurs », pour la commission du Parlement. Pour lui, la « réparabilité » constitue une réponse à de multiples enjeux : écologique, de souveraineté, économique. « On a caricaturé la réparabilité comme une économie de la pauvreté. (…) Elle permettrait à l'Europe d'avoir un modèle compétitif et viable. C'est l'occasion de faire bifurquer une vision de l'économie européenne », estime le député.
Un courant multi-acteurs
En France, des acteurs de nature très diverse sont engagés dans les pratiques de réparation. Et le fait que la CMA accueille la conférence de lancement de ces journées nationales ressemble à une déclaration d'ambition . « Les artisans ont toute leur place dans la réparation », explique Fabienne Lepoittevin, déléguée de CMA France au Conseil national de la Transition écologique. Au total, la chambre décompte 126 000 artisans fabricants réparateurs actifs dans de nombreux métiers (cordonnerie, bijouterie, coutellerie, articles de sport...). Pour l'essentiel, ces TPE de 3 à 5 salariés sont présentes sur tout le territoire. Mais de grandes entreprises se sont aussi positionnées sur le sujet. Chez Fnac-Darty, « notre grande chance est d'être déjà le premier réparateur de France », explique Régis Koenig, son directeur réparabilité durabilité. En France, 3 000 personnes dans l'entreprise se consacrent aux activités concernant la réparation (3 500 au niveau du groupe sur un effectif total de 25 000). Par ailleurs, « comme distributeur, nous pouvons influencer les fournisseurs », poursuit Régis Koenig. Le « baromètre SAV » de Darty les stimule à faire évoluer leurs produits : le fait qu'ils soient plus ou moins facilement réparables conditionne le score.
Un troisième type d'acteurs tient une place très particulière dans ce mouvement de la réparation : les ressourceries et recycleries engagées dans une démarche de réemploi et de réparation de produits (vêtements, meubles, électroménager...), dans une optique solidaire et écologique. Autant « d'initiatives citoyennes à taille humaine », qui expérimentent des nouveaux modèles de société, explique Catherine Mechkour Di Maria, secrétaire générale du Réseau national de ressourceries et recycleries ( 227 adhérents). Signe du dynamisme de ces activités, la demande en formation explose. « Nous constatons une demande extrêmement forte des entreprises et d'autres structures qui sollicitent les organismes de formation pour renforcer leur SAV », témoigne Julien Wypych, directeur général du réseau de CFA Ducretet qui compte parmi ses spécialités les métiers de vente et réparation d'électroménager, du multimédia et des objets connectés.
La réparabilité : chasse gardée ?
En dépit de cet engouement, des freins de nature diverse semblent puissants, et certains concernent tout particulièrement les artisans. Globalement, les ressources humaines sont-elles disponibles ? Darty a formé 700 apprentis en trois ans. Toutefois, au niveau des formateurs, « nous ne sommes pas encore en capacité de répondre à toutes les demandes(...). Nous avons beaucoup de mal à drainer des candidats », prévient Julien Wypych. Il s'inquiète aussi de la qualité des formations. « Pour répondre aux besoins immédiats, je vois émerger des formations au rabais, moins qualitatives. Il y a un manque de moyens financiers », met en garde le professionnel.
Quant aux artisans, ils rencontrent des difficultés à accéder au marché de la réparation : seuls 17% des Français qui font réparer leurs produits se tournent vers un indépendant (Ademe). En particulier, selon la CMA, ces professionnels ne bénéficient pas vraiment du dispositif public « Bonus réparation ». Celui-ci permet aux consommateurs de bénéficier d’une réduction (jusqu'à 50 euros) lorsqu'ils font réparer un appareil électrique ou électronique auprès d'un professionnel qualifié QualiRepar. « Les artisans n'ont pas forcément accès à ce label, trop cher », dénonce Fabienne Lepoittevin. Le label « Repar’Acteur », créé il y a dix ans par la CMA, adopté par 6 600 artisans, ne rend pas éligible au dispositif public. La CMA prévoit de le faire évoluer. Autre barrière à l'entrée des artisans au marché de la réparation pointée par la CMA et HOP : la pratique de la « sérialisation ». Elle consiste, pour une marque, à marquer électroniquement les composants de ses produits, les rendant indispensables à son fonctionnement. De facto, cela ferme la porte aux réparateurs non-agréés. Autre écueil encore, qui concerne tous les acteurs marchands de la réparation : plus de la moitié des Français qui ne pratiquent pas la réparation sont freinés par le fait qu'ils estiment que cela revient plus cher que d'acheter un produit neuf. « la réparabilité ne peut réellement exister que si les prix des produits neufs reflètent le coût des matériaux qu'ils utilisent », prévient Catherine Mechkour Di Maria.